Les Sabotiers

Sabots et Sabotiers
L’on pourrait croire que le sabot remonte à la nuit des temps, pas tout à fait…

  
Devant chez Gally, sabotier
(Collection Mairie de Saint-Germain-de-Modéon)

Origines du sabot

Otzi, la fameuse momie prise sous la neige après sa mort et retrouvée à 3213 mètres d'altitude, portait des chaussures… et vivait il y a 5300 ans…


Otzi, la momie, il y a quelques 5300 ans...

En réalité les premiers sabots ne seraient apparus en Suisse qu’au 15ème siècle, plus précisément entre 1480 et 1520 et se seraient généralisés à partir du 16ème siècle.
Toutefois, les fouilles de Bibracte ont permis de mettre à jour quelques gouges qui laisseraient à penser que les Eduens savaient déjà faire des sabots… Sans confirmation.

Ils ont connu un rapide développement dans le Nord de la France puis sont arrivés en Bretagne, en Flandre, aux Pays-Bas, en Rhénanie, en Moselle, dans les Alpes occidentales puis se sont développés jusqu'au Danemark.

Esclop : (en ancien occitan) viendrait probablement du latin vulgaire « scloppus » signifiant « bruit sec », à rapprocher avec le latin classique « sculponeus » signifiant « sabot ».

Sandale : serait emprunté au latin « solea » qui désignait des choses plates, comme une sandale, et qui ne couvrait donc pas le pied.

Soulier : Dans le Jura, le soulier renvoyait à une notion d’étage ou de toit. Dans Palsgrave (p. 459) : « Je veulx que tu saiches que je ne daigne pas que tu Bloucquasses mon soulier ». il y a donc l’idée de fermeture donc d’une certaine protection des côtés à minima.

Savates : E. de Chambure nous les signale comme de mauvaises chaussures.

Chausse : Pour E. de Chambure il s’agit de bas, de vêtement de la jambe et du pied.

Chaussure : Comme la chausse, elle semble couvrir l’ensemble du pied.

Escarpins : Capina, dans cette acception, pourrait se rattacher à escarpin dont l'origine est incertaine et qui est quelquefois écrit « eschapin » en vieux français.


Des escarpins, sabots décolletés

E. de Chambure nous apprend également que marcher « Ai lai capine » signifie marcher les pieds nus ou sur ses bas, ce qui correspondrait à une version « allégée » et « décolletée » du sabot destiné aux femmes.

Le sabot

Le sabot est fait d'un seul tenant. C’est à l'origine une chaussure réalisée en taillant et creusant un morceau de bois pour que le pied puisse s'y glisser. C’est tout ! A l’origine le sabot n’a ni pied gauche ni pied droit…

Le sabot est une astuce à lui tout seul ; la pointe par exemple sert à décrotter la semelle lorsque cela est nécessaire et ses multiples variantes l’adaptent à toutes les situations (voir plus bas « Quelques modèles »).

En revanche le sabot a un gros défaut, son usure. L’usage courant le limite à une existence d’environ deux mois.

Les sabotiers revoyaient souvent leurs clients…

Pied gauche, pied droit

Avant d’aller plus loin, il ne paraît pas inutile de parler d’abord de cette fameuse différence.

La machine à creuser qui date du début des années 1900, a été inventé en 1841 par un dénommé Durot, ancien élève de l’école de Chalons (une médaille d’argent -grand modèle- lui aurait été attribuée en 1844 selon les Annales Forestières, tome III de cette même année). Hélas cette machine si performante fut elle, ne creusait « qu’un pied ».

Puis vint Alexis Godillot (1816-1893), sellier comme son père, il fut le premier à distinguer le pied gauche et le pied droit dans la fabrication des chaussures et à y porter de nombreuses améliorations de confort.
Toutefois, la date exacte de cette découverte ne semble pas en être connue.
En 1854 il aurait chaussé quelques 100 000 soldats lors de la guerre de Crimée.


Alexis Godillot
(Image Généanet)

En 1859, après la guerre d’Italie, il aurait été en mesure de fabriquer la chaussure militaire, le Godillot.
Ce sont donc les modifications à la machine de Durot qui ont été fabriquées puis utilisées au début des années 1900 que nous voyons encore aujourd’hui.

Le sabotier

Ne pas confondre avec le savetier dont le métier était de raccommoder les vieilles chaussures.
Le dictionnaire du vieux langage français de 1765 précise qu’un « sabrenas » désigne un savetier ou un cordonnier alors que ce terme s’appliquerait aujourd’hui à un ouvrier travaillant grossièrement.


(Cliquez pour agrandir)

Les sabotiers étaient généralement installés en forêt ou en lisières de forêts jusqu’à une ordonnance royale de Louis XIV, qui vers la fin du 17ème siècle, leur interdit d’exercer leur activité à moins d’une demi-lieue (2 km) de la forêt afin de prévenir tous risques d’incendie.


Sabotiers en forêt
(Image Internet)

Dés lors, ils commencèrent, lentement, à installer leurs ateliers (leurs loges) au centre des bourgs.

Sabotiers dans un hameau
(Photo Archives Société Eduenne)

Fabrique sabots
(Photo "Patrimoine Morvan")

Le Morvan a connu beaucoup de sabotiers, comme Alexis Perrin qui exerçait à Montreuillon (58), décédé en 1967 et dont le fils Michel a reprit un temps la suite, pendant une dizaine d’années, avant de fermer définitivement faute d’une activité suffisante, comme Jean Perriau dont la famille a exercé pendant plus d’un siècle à Roussillon-en-Morvan (71)… et tant d’autre encore.
Il ne resterait aujourd’hui qu’une douzaine de sabotiers en France, le Morvan a la chance d’abriter l’un d’eux, Alain Marchand.

Les sabotiers se répartissaient en deux catégories :
- Les planeurs façonnaient l'extérieur du sabot
- Les creuseurs en réalisaient l'intérieur

Jadis, l’importance de la saboterie avait conduit à la construction « d’usines » de sabots.
Dans un but évident de rentabilité, les ouvriers étaient spécialisés. Les bucheurs travaillaient à la hache, les pareurs dégrossissaient au paroir, les creuseurs étaient spécialisés soit dans le sabot gauche soit dans le sabot droit, et personne (ou presque) ne maîtrisait l’ensemble.

L’artisan sabotier lui, maîtrisait (et maîtrise toujours) toutes les facettes de la profession. Aujourd’hui il assure même les démonstrations pour touristes, la tenue d’un magasin, et bien d’autres activités annexes.

(Alain Marchand - Saboterie de Gouloux,
Images extraites du reportage de France 3,
"Le Morvan des Lacs")
... De la démonstration...

... au magasin...


Mais avant que chacun s’attèle à la tâche finale il y avait déjà pas mal de travail :

Rechercher le bois, l’abattre, le débiter, le préparer…
Réaliser des modèles, entièrement fabriqués à la main, généralement en acacia, un bois particulièrement dur.
Ces modèles devaient résister au palpeur qui guide le travail de la bucheuse destinée à réaliser l’extérieur du sabot et aux frottements du guide pour la creuseuse.
Toutefois, sauf accident, les modèles duraient longtemps.

Le bois

Le sabotier cherche de vieux arbres et de préférence comme l’on dit, en bonne santé. Il choisit les essences en fonction de ses besoins :
- Du bouleau, du peuplier (en zone humide et pour les mariniers), du saule, de l’aulne voire du tilleul, du pin, du sapin ou de l’érable pour les sabots légers,
- Du hêtre, de l’acacia, du frêne ou éventuellement du chêne pour les bons gros sabots solides qui seront utilisés dans les champs (encore que les 2 derniers aient été évités en raison de leur poids),
- De l’orme, du noyer (pour le sabot de luxe) et quelques essences fruitières telles le poirier, le pommier ou le cerisier pour des sabots de fêtes, vernis et décorés.

Une fois son choix fait, il faudra abattre l’arbre, l’ébrancher, l’écorcer, le débiter en 1 mètre de longueur puis ensuite recouper les billes en 3. Là non plus la longueur de 33cm n’est pas due au hasard, elle correspond à la plus grande des pointures réalisées : le 46 (fillette…)

La fabrication et les outils

Juste une petite précision avant de continuer, le Musée du sabot d'Etang-sur-Arroux est fermé depuis de nombreuses années déjà... N'essayez pas d'y aller !

Cette précision étant donnée, continuons.
Les billes de bois encore vert vont pouvoir être travaillées.


Les outils du sabotier
(Photo site de Louroux de Bouble)

Le sabotier disposait tout d’abord d’un établi ou « billot » ou même « encoche » du nom de l’encoche aménagée sur l’établi pour maintenir le sabot, et de nombreuses haches pour « ébaucher » et « dégrossir » les billes.

Etabli portatif
(Saboterie Marchand)

Etabli portatif
(Musee du compagnonage de Tours)


Plus récemment, elles seront tout d’abord équarries à la scie circulaire pour faire des « ébauchons »


Une approche à la scie circulaire
(Saboterie Marchand)

Les machines, appelées aussi « machines à copier », exécutent ensuite les premières étapes du buchage et du creusage. Enfin, sans la dextérité du sabotier, il est clair que les machines à elles seules n’exécutent pas grand chose…

- La bucheuse (ou tailleuse) est équipé d’un palpeur qui suit les contours du « sabot modèle », un gabarit, et taille la bille située à côté suivant le modèle.
Il existe des bucheuses simples équipées d’un inverseur permettant de fabriquer le deuxième sabot en miroir (depuis Monsieur Godillot nous n’avons plus deux pieds gauches…) ou double, tournant en sens inverse, fabriquant les sabots gauche et droit en même temps.


Une bucheuse
(Saboterie Marchand)

- La creuseuse fonctionne sur le même principe a une légère différence près : le palpeur, généralement situé au milieu, est guidé manuellement par le sabotier dans le creux du « sabot modèle », le mouvement imprimé par le sabotier est alors reporté sur deux cuillères destinées à creuser les sabots gauche et droit… D’où l’importance de la dextérité du sabotier. 


Une creuseuse
(Image extraite du reportage de France 3,
"Le Morvan des Lacs",
Saboterie Marchand)


Dans leurs débuts, ils ont tous creusé des sabots… pour la cheminée…

- Avant la machine, le creusage, aussi appelé encochage ou curage était fait à la main, avec la gouge, la vrille ou la tarière.

- Le Paroir, une grande lame attaché à l’établi par un crochet, est utilisé pour préparer et affiner les contours du sabot, talon, semelle et pointe. La fixation d’un côté sur l’établi permet un redoutable effet de levier.
Il parait que dans certaines contrées, un sabot qui avait été percé par un mauvais coup de paroir était immédiatement jeté au feu car c’était par ce trou que s’en allait l’esprit du sabotier…


Le paroir
(Saboterie Marchand)

- La cuillère, une sorte de ciseau à bois permet d’affiner les côtés internes du sabot.
Et si l’apprenti avait trop creusé le côté, il ne manquait pas de s’entendre dire par le patron : « On voit la chèvre qui est dans le champs ».

- Le boutoir, est également une sorte de ciseau à bois, il sert à évider la partie interne antérieure du sabot.

- La rouanne permet de d’achever le creusement du sabot dans toute la partie couverte, entre la pointe et le coup de pied.

Intervient alors un séchage qui dure de 3 à 6 mois après lequel chaque sabot sera retravaillé.

Pas question d’un séchage trop rapide qui risquerait de fragiliser le sabot. Outre ses mains habiles, le sabotier utilise ses oreilles. Lorsque les sabots sont secs ils « sonnent » aigu, lorsqu’ils sont humides ils « sonnent » grave.
Magique ? Quoi que ! Dans certaines régions les sabotiers maintenaient en permanence un feu de copeaux sous les sabots afin de les sécher, de les « fumer » et de les « teinter ».


Séchage tranquille
(Saboterie Marchand)

Viendront ensuite les finitions, ponçage, teinte, pose puis réglage de la bride mais aussi et surtout, la vérification de la pointure avec des piges et des réglettes (graduées ou pas…) etc…
La décoration se fera à l’aide d’un autre outil, la reinette, sorte de ciseau à bois à porte-lame courbe permettant les sculptures à la surface du bois.


Plein des choses bientôt finies

Si le sabot n'est pas réellement fabriqué sur mesure pour chaque client comme il se dit, il est essayé, retouché et adapté après essais chez le sabotier.

Le sabot aujourd’hui :

Dans la première moitié du 20ème siècle, le sabot était porté par la grande majorité des morvandiaux.
A regarder cette photo de classe de 1929 de l’école de hameaux des Settons (« Ma p’tite école »), vous ne pourrez que constater le nombre d’enfants, garçons ou filles, ainsi chaussés et qui parcouraient leurs 4 ou 5 km quotidiens pour se rendre en classe.


Photo de la classe 1929 de l'école de hameau des Settons
(Collection "Ma p'tite école")

Il y a encore quelques dizaines d'années, beaucoup de Morvandiaux portaient encore des sabots. Leurs utilisateurs les considéraient toujours comme des « chaussures » pratiques et confortables. L'épaisseur du bois permettait de s’isoler du froid et de l'humidité et la largeur de la semelle l’empêchait de s'enfoncer dans la terre humide, même si parfois hélas ils y restaient collés...

En 1947, année de création de son entreprise, le sabotier de Gouloux (Nièvre) aurait produit jusqu'à 100 000 paires de sabots. En 2016, seulement 1 500.

L'artisanat du sabot « tout fait main » a véritablement décliné au 20ème siècle.
L’arrivée des machines à tailler et creuser avait largement contribuée à la diminution de l’emploi dans cette branche et le coup fatal a sans doute été porté après la seconde Guerre mondiale avec l’apparition de la botte en caoutchouc.

Porter des sabots aujourd’hui n'est certes plus d'usage. Il n’en demeure pas moins que notre sabotier morvandiau perpétue ce savoir-faire. Alain Marchand fabrique toujours des sabots. Toutefois ses clients ont changé de visages, ce ne sont plus les morvandiaux de souche qui viennent au magasin mais les touristes qui les achètent comme souvenir du Morvan, des sabots qui seront accrochés au mur et n’en descendront que pour quelques fêtes ou déguisements.

Du magasin...

... au mur


Les sabots sont pourtant encore largement utilisés, mais les nouveaux matériaux qui les constituent prennent la place du bois… Caoutchouc, plastique et surtout Croslite… avec une grande variété, des plus luxueux aux plus simples, des plus esthétiques par leurs formes ou leurs dessins aux plus spécifiques et pratiques dans certains usages.

Les Kroumirs

C’est quoi çà ?

En 1852, les dénommés Pierre et Joseph Soussial, originaires de Miramont-de-Guyenne (Lot-et-Garonne) et cordonniers de leur état, ont été déportés suite à la révolte contre Louis-Napoléon Bonaparte.
Pierre Soussial fut déporté en Algérie, dans un village de Kroumirie proche de la frontière tunisienne.
Les Kroumirs, habitants de cette contrée, avaient très mauvaise réputation et se voyaient imputer tous les méfaits possibles : Rapines des Béni Merzem, des Ouled Sebira, des Ouled Embarkem… Tous les voleurs de la frontière étaient regroupés sous ce nom générique.
Pierre Soussial s'intéressa à la manière dont était traitée la basane, le cuir de mouton dont on faisait des babouches.
A leur retour à Miramont après avoir été graciés, Pierre et son fils Joseph se lancèrent dans la fabrication de ces chaussons avec l’idée de les destiner à remplacer la paille ou le foin dans les sabots de bois. Excellente idée !
Ces chaussons ont été baptisés « Kroumir » en souvenir de la région ou Pierre Soussial fut déporté.
Le petit-fils, Joseph, du même prénom que son grand-père, transforma leur atelier en véritable usine.

Destinés initialement aux paysans, ces chaussons convainquirent l'armée, les mineurs, les cheminots.
La modernisation de l’usine permit d’augmenter la production et de multiplier les modèles.
Des transfuges de l'usine Soussial créèrent leur propre atelier au point que le bourg compta une trentaine d’ateliers offrant des centaines d'emplois.
Hélas, la crise de la chaussure, le libre-échange, les importations et les prix de nouvelles matières premières eurent raison de cette activité.

L'usine Soussial fut reprise par l’entreprise Housty mais fut détruite dans un incendie en 1970.

C’est à cette époque que les « vrais » Kroumirs ont commencé à disparaître, remplacés par des chaussons en feutrine, assez jolis, parfois brodés, mais sans rapport avec la qualité de leurs ancêtres.


Les "Kroumirs" en feutrine...


... sans broderies


Les "chaussons" en jerzey...


... légèrement fourrés


...et les chaussons "synthétiques"

Impossible aujourd’hui de trouver des Kroumirs en feutrine, encore moins des vrais ! Au mieux vous trouverez des « chaussons » pour bottes et sabots à usage "professionnel", en jerzey, légèrementen fourrés et fabriqués industriellement, ou plus 'personnels" avec 50% polyester et 50% coton, mais n’appelez surtout pas cela des Kroumirs.

En souvenir, une « ruelle du Kroumir » se trouve à Miramont, entre la rue de Martignac et le boulevard Jules Ferry.

Si vous voulez lire l'histoire de la famille Soussial, cliquez ICI.

Les sabots pendant les guerres

En 1870 :
Il ne semble pas être question de sabots.
En revanche, un tirage au sort permettait de décider si les appelés devaient être enrôlés dans « l’active » ou dans la « mobile » qui venait d’être créée.
Dans le second cas ils étaient alors équipés par « l’administration civile » (généralement la ville) et la qualité des fournitures faisait que les soldats portaient des chaussures avec des semelles en carton… (entre autres…).
Mais où sont tous les Godillots que Monsieur Alexis était capable de fournir en 1859 ?
Le sabot n’aurait peut-être pas été pire…

En 14-18 :
Les soldats ne portaient visiblement pas de sabots lors de la Grande Guerre.
Nous n’aurons pas trop de problème à parler des chaussures, pour le reste, toute la stupidité des « chefs de guerres » de l’époque est présente.

En 1914, il fallait "se montrer héroïque et avoir du panache pour aller vers la mort. C’était pour la gloire de la Nation. Il ne fallait pas de tenues camouflées c’était faire preuve de lâcheté." Etc…
Passons…

Donc lors de la première guerre mondiale, les soldats portaient des brodequins, le modèle 1912 était utilisé (qui découlait paraît-il des expériences menées depuis 1903…).
Ils ont ensuite été modifiés : en 1915 pour les rendre plus étanche, en 1916 par l’ajout d’un rivet de renfort pour les rendre plus solide, en 1917 par un rehaussement de la tige pour mieux tenir la cheville… (et ils avaient mené des expériences ?)

Le brodequin réglementaire ne disposait pas de rivets de renfort sur le quartier ni de soufflet sur la languette mais avait des semelles largement cloutées.
Mais qu’importe, le soldat avait le droit d’avoir ses propres brodequins. Eh oui ! Le règlement prévoyait même de les rembourser sur la base du prix du brodequin réglementaire, soit environ 8frs (un peu moins de 30 euros).
En fait, peut importait, tout était bon, y compris les bottes de l’ennemi.

Pour illustrer cet aspect rappelons que le 13 juillet 1914, il y eut au Sénat une discussion sur un projet de loi. Charles Humbert (1866-1927), sénateur de la Meuse, se lance dans un terrible réquisitoire « contre l’état d’impréparation militaire dans lequel se trouve la France » et précise que « si demain nous avions la guerre, nos fantassins partiraient avec une paire de chaussures aux pieds et une demi paire dans le sac, constituée par des godillots confectionnés il y a trente ans et reconnus inutilisables ».

En 39-45
Les sabots n’étaient pas utilisés en 14-18, ils ne sont donc pas plus en 39-45.
Pour la petite histoire, les "buckle boots" (chaussures à boucles) qui deviendront les célèbres « Rangers » n’ont remplacé toutes les chaussures de l’armée américaine qu’en juillet 1944.
En France elles sont venues un peu plus tard.

Des pieds aux lèvres…

A manger…
Tout comme Pierre Soussial, Auguste Redon, apprenti pâtissier de son état, était allé en Kroumirie, mais pas en déportation, pour son service militaire d’où il revint en 1895.
Très observateur lui aussi, il s’intéressa aux confiseries orientales et à son retour inventa cette spécialité, un bonbon composé d’une pâte d’amande trempée dans un bain de sucre d’orge au chocolat.
Le Kroumir sucré était né, baptisé lui aussi en souvenir de cette redoutable tribu.

Et à boire…
Un jour, Jean Marie Bulliot, marchand de vins à Autun et père de Jacques Gabriel Bulliot (bien connu pour être l’initiateur des fouilles archéologiques du Mont Beuvrey à partir de 1860 qui ont permis de découvrir Bibracte, la capitale des Eduens), invita les galvachers vendangeurs de passage en sa ville, à se rafraîchir du vin d'une feuillette tombée à terre. Dédaignant les paniers de verres qu'on leur apportât, les galvachers se servirent de leurs sabots pour boire.


Les Galvachers vendangeurs
(Image Société Eduenne)

Utile et pratique le sabot…

Le Guiness-Book

2,5 tonnes et 3,80 mètres de long, 


c’est le plus grand sabot couvert du monde.

Il est à Gouloux, dans le Morvan.
Il a été homologué en 1989 par le Guiness-Book des records et a été réalisé par Alain Marchand, sabotier à Gouloux.

Le séquoia géant dans lequel il a été sculpté venait de la Bresse. Il mesurait 45 mètres de haut (dont un beau tronc de 20 mètres) et pesait 18 tonnes.

Pour le réaliser Alain Marchand a taillé le tronc à la tronçonneuse, à la hache, à l'herminette, pour terminer au papier de verre, le tout en une quinzaine de jours seulement !

Ce même tronc a également servi à sculpter le bœuf qui se trouve en face, dans un remarquable travail à ferrer, le tout à côté de la saboterie.

Quelques modèles et sabots particuliers


Quelques formes de sabots

Les sabots du contrebandier, sans doute la plus originale de toutes les formes. Le talon se trouve devant pour tromper gendarmes et douaniers… Pour faire croire que vous arriver alors que vous partez (et parfois le contraire…). Chose extraordinaire, on en trouve encore facilement, même sur un célèbre site de vente en ligne…


Sabots de contrebandiers
(Photo "Le Bon Coin")

Les sabots de Denver, du nom de la ville des USA (Colorado), utilisé comme antivol de voiture par les particuliers mais aussi beaucoup plus subtilement par les services de police pour… immobiliser un véhicule gênant.


Le sabot de Denvers

Les socques à la forme très curieuse


Une paire de socques
(Image Internet)


Les sabots suédois, à dessous bois, semelle caoutchouc et dessus cuir fermé

Les Galoches, avec semelles bois et un dessus cuir, se rapprocheraient des sabots suédois.


Une autre forme, la Galoche stillegang
(Image Internet)

Les sabots Croslite, réalisés à partir d’une résine à cellules fermées et antimicrobienne qui n’est ni du plastique ni du caoutchouc. Ils sont les chouchous des milieux hospitaliers (bien que contestés par certains pour les risques de pénétration microbienne par les trous…) et font un tabac dans l’habillement (féminin).

    
Les sabots Groslite

Les sabots d’hiver, à dessous bois, semelle caoutchouc et dessus cuir fermé mais agréablement garnis de laine ou de fourrure

Sans oublier l’imagination débordante des hommes…

- La torture du sabot de bois, une méthode de torture qui aurait été utilisée par le Parti communiste chinois pour persécuter les dissidents. Ce sabot aurait mesuré de 50 à 80 centimètres de longueur, 30 à 50 centimètres de largeur pour 10 à 15 centimètres d'épaisseur. Son poids aurait été compris entre 20 et 60 kilos et il aurait été percé de deux trous en son milieu pour les pieds.
La victime ne pouvait naturellement pas se mouvoir, si ce n’est en rampant, et ne pouvait rien sans une aide extérieure.

- Mais les sabots ne manquaient pas non plus d’être arrangés, généralement par leurs propriétaires, en fonction de certains usages bien précis. Ainsi pouvaient-ils être munis de montants en toile de voile huilée (pour les marins bretons), de montants métalliques (pour les ouvriers sidérurgistes), de patins pour marcher dans la neige, de crochets plante-échalas (pour aider les vignerons à ficher en terre les tuteurs des vignes), de crochets pour monter aux arbres (c’est encore le principe pour certains électriciens de réseaux) et les jardiniers avaient pour habitude de clouer une planchette sous les semelles pour travailler dans les potagers.

         
Quelques sabots...
(Images Internet, les doigts de pieds sont présentés par l'éco musée du Charolais)

La révolte des sabotiers

En raison des dépenses colossales consécutives à la guerre franco-espagnole (1639-1659) et à la Fronde (1648–1653), le cardinal Mazarin procéda de manière assez malheureuse à quelques manipulations monétaires.

Cette affaire, le retrait des Liards, pièces de monnaie de faible valeur (environ 3 deniers, à cette époque un œuf valait 14 deniers), eut pour conséquence de mettre à mal les maigres économies des paysans et de déclencher des agitations en province. L’une d’elle eut lieu en 1658 en Sologne, plus connue sous le nom de « révolte des sabotiers ».


Un Liard
(Photo Wikipédia)

Quelques gentilshommes craignant pour l’annulation de certains récents anoblissements rejoignirent la mobilisation. La révolte fut matée, des paysans pendus et le marquis de Bonesson décapité le 13 décembre 1659.

Le sabotage

Le sabotage n’a aucun rapport avec le travail du sabotier.

En réalité, il semblerait que ce mot vienne des débuts de l’ère industrielle où il suffisait qu’un ouvrier jette l’un de ses sabots dans un engrenage pour stopper une machine et donc une production.

Toutefois, cette explication tiendrait plus de la légende que de la réalité puisque aucune source fiable n’en apporte la preuve (en même temps, un bon saboteur se doit de rester discret).

Saint René remplace Saint Jacques

Si l’on en croit l’un des rares documents traitant du sujet, découvert dans un extrait de texte d’Alphonse Certeux (1834-1904, Membre de la Société historique algérienne et membre de la Société d'agriculture d'Alger), publié dans la « Revue des Traditions populaires » de 1893, ce remplacement daterait des années 1850.


La médaille de Saint René

Il aurait eut pour cause le déclin de l’industrie de la saboterie dont les membres auraient accusé saint Jacques, leur saint patron de l’époque.

Humour grinçant

On ne met pas de la paille ou du foin dans les sabots mais de la paille ET du foin… pour reconnaître la gauche de la droite…

Si cela est resté comme une aimable plaisanterie, c’était en réalité une verte critique portée par Séverine, écrivain, journaliste et féministe, lorsqu’en 1910, elle commenta ainsi la prescription de la loi électorale qui interdit à la femme l’entrée du Parlement.

En parlant de l’homme qui lui avait le droit de vote elle écrivait (extrait) :
« Cet ignorant qui ne sait ni lire, ni écrire, si incapable de distinguer sa droite de sa gauche qu’au régiment ses chefs feront garnir différemment ses deux sabots, et que les mouvements s’exécuteront au commandement : Paille ! Foin !… Paille ! Foin ! Cet ignorant est électeur… Mais la femme réputée inférieure à tous ceux-là, n’a d’emploi que comme contribuable ; qu’un devoir : celui de payer ; qu’un droit : celui de se taire ».

Avoir les deux pieds dans le même sabot

Pas question bien sur d’essayer de mettre les deux pieds dans un même sabot, même du temps où il n’y avait pas de pied gauche ou de pied droit, la situation étant si inconfortable qu’elle est… totalement impossible.

Cette expression ne remonterait qu’au 20ème siècle, époque où l’usage des sabots était déjà en forte régression, ce qui laisserait à penser qu’elle en est bien antérieure.

Les significations en sont simplement, être embarrassé, incapable d'agir, passif ou sans initiative.

Paroles et musique

Le Sabotier
Cliquez sur l'image ci-dessous pour écouter
une interprétation de 1956,
la ronde des métiers de France,
Par André Claveau (17/12/1915 - 04/07/2003)
Version intégrale mais de piètre qualité


Ou
Cliquez sur le lien ci-dessous
pour écouter un extrait sonore sur Gallica
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8803233j/f2.media

Paroles du Sabotier

De l'aube au soleil couchant
Dans sa vieille échoppe
Le sabotier, bon enfant,
Pousse la varlope
Et tous les gars du pays formant le quadrille
Dans un bruit de sabots qui monte dans la nuit
Font danser les filles, font danser les filles
Et dansent toujours

Le sabotier besogneux
Marquant la cadence
Fait la nique au violoneux
Qui conduit la danse
Et jaillissent, fins et doux, copeaux en dentelle
Mais le bruit des sabots meurtrit son cœur jaloux
Et faute sa belle, et faute sa belle
Et danse l'amour

Le sabotier malheureux
Sans repos ni trêve
Une flamme dans les yeux
Contemple son rêve
Il a perdu son amour en ce jour de fête
Et le bruit des sabots qui vont dansant toujours
Sonne dans sa tête, sonne dans sa tête
Et sonne toujours

Quand le soir de la Saint-Jean
Fit monter la flamme
Du brasier qui des amants
Unit corps et âmes
Il s'y jeta ricanant, cœur inconsolable
Mais le bruit des sabots martèle chez Satan
Le sabotier du diable {x3}

Poésie

LA FIANCEE DU SABOTIER

J'avais choisi pour bien l'aimer,
Viens que je t'aime, douce aimée !
Une mignonne, une demoiselle.
J'allais souvent la voir chez elle.

J’ai pour venir te fréquenter,
Viens que je t'aime, douce aimée !
Usé trois paires de mes sabots.
Pour toi je prenais les plus beaux.

Voici le temps que les pommiers,
Viens que je t'aime, douce aimée !
Comme ta robe sont blancs et frais
Pourquoi ne pas nous marier ?

0 mon ami, je t'attendais
Viens que je t'aime, douce aimée,
Avec mon âme, avec mon premier,
Mon tout premier, mon vrai baiser.

J’ai découvert dans mon verger,
Viens que je t'aime, douce aimée !
Près de notre arbre un coin plus secret.
S'il te plaît bien, je serai gaie.

Jeune homme êtes-vous insensé ?
Viens que je t'aime, douce aimée !
Pour ma fille, c’est de beaux messieurs
Avec des montres que je veux.

Vois-tu croquant, ces trois sentiers ?
Viens que je t'aime, douce aimée !
Prends en hâte celui du milieu,
Car il t’éloignera le mieux.

Madame soyez pardonné !
Viens que je t'aime, douce aimée !
Maman tu parles bien durement.
Je serai morte dans un an

Morte au milieu des fleurs de mai
Viens que je t'aime, douce aimée !
Jusqu’à ma tombe mère cruelle
Me suivront les roses nouvelles

Au coin le plus ensoleillé,
Viens que je t'aime, douce aimée !
Prenez peine de m’enterrer
Je rêverai du mois de mai.

Face au grand ciel j’y rêverai
Viens que je t'aime, douce aimée !
De tes paroles bon sabotier,
Et de mon pauvre amour blessé.

L’été, l’hiver pourront passer,
Viens que je t'aime, douce aimée !
Printanière toujours la même
Je t’aimerai puisque je t’aime

A mon flanc droit vous placerez
Viens que je t'aime, douce aimée !
Un bouquet rouge pour mon amour.
Pour ma douleur trois bouquets noirs.

Les noirs seront de blanc cerclés
Viens que je t'aime, douce aimée !
Et le dimanche les jeunes gens
Parfois y viendront en pleurant.

Puis te diront Amis ornez
Viens que je t'aime, douce aimée !
Ornez la tombe de la plus belle
Qui soit morte d’amour fidèle.

Et moi j’irai l’y fréquenter
Viens que je t'aime, douce aimée !
Au crépuscule, avec mes sabots.
Pour toi je prendrai les plus beaux.

Si je le puis, j’inventerai
Un chant très simple pour m’égayer
Viens que je t'aime, douce aimée !
Et pour que tous puissent t’aimer.

Armand ROBIN
(écrivain français 1912-1961)

Sources documentaires

- Documentation personnelle
- Joseph Bruley : Morvan cœur de France
- Françoise Bourdon : Le bois de lune
- Vents du Morvan

Sites de sabotiers
- Saboterie Marchand (58) : http://www.saboterie-marchand.com/
- Sabotier du Jura (39) : http://www.sabotierdujura.com/
- Sabotier de St Jean d'Assé (72) : http://autrefois-les-sabots.e-monsite.com/

Autres sites
- Gallica, Bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France : http://gallica.bnf.fr/
- Un site consacré aux sabots : http://autrefois-les-sabots.e-monsite.com/
- Un site traitant des sabots : http://lasirene.e-monsite.com/pages/les-sabotiers/
- Un remarquable glossaire de la chaussure : http://www.chaussurespaul.com/glossaire_dico.php
- Wikipédia