Jean Bertin

  
(Photo site Web Mairie de Limours)

Un enfant de Saulieu

Sa mère est originaire de Saulieu et son père, Lucien Bertin, de Blisme dans la Nièvre, est directeur de l’Agence des enfants de l’Assistance Publique à Saulieu.

Jean est né le 29 septembre 1917 à Druyes-les-Belles-Fontaines (89)

Ses parents ayant longtemps habité Saulieu, Jean Bertin est considéré comme un « enfant de Saulieu » scolarisé au collège François Pompon avant de rejoindre le lycée d’Autun.

Enfant, il s’intéressait à la photo et à la radio tout juste balbutiante, s’essayant à la construction de postes à galène mais aussi à la construction de maquettes… d’avions.

Des études de mathématiques au lycée Saint-Louis de Paris le conduisent à l’École supérieure d’aéronautique où il sera reçu au concours d’ingénieur de l’air, puis à « Polytechnique » d’où il sort breveté (promotion 1938), membre de l’Académie du Morvan en 1968 et lauréat du prix « ICARE » décerné par l’AJPAE, Association des Journalistes Professionnels de l’Aéronautique et de l’Espace en 1973.

Les moteurs d’avions

En 1944, il entre à la SNECMA (Société Nationale d’Etude et de Construction de Moteurs d’Avions), adjoint de Raymond Marchal qui en est le Directeur Technique.

Il est alors directeur technique chargé d’études spéciales sur les moteurs, dont l’inverseur de poussée qui équipe aujourd’hui la quasi-totalité des réacteurs d’avions, et qui fut testé sur un « Vampire » en 1952.

Il est également, chose moins connue, chargé de l’intégration des techniciens et ingénieurs allemand du Groupe « O », installés depuis Juillet 1946 dans une caserne de Gardes Mobiles à Decize (58).

Quelques années plus tôt, le gouvernement allemand avait chargé Le docteur Hermann Oestrich de mettre au point le « turbopropulseur BMW 003 » qui équipa rapidement les chasseurs de combat de la « Luftwaffe ».

En Mai 1945, les compétences de l’équipe de Oestrich sont convoitées par les Américains, les Russes et les Français. Ces derniers réussissent à le récupérer sous une fausse identité, le faisant passer pour un criminel nazi. Oestrich recrutera une équipe de 170 spécialistes qui seront d’abord basés en Allemagne à Richenbach puis transférés à Decize en 1946 avec 38 wagons de matériel.

En Mai 1950, Oestrich qui avait pris la nationalité française commençait « à faire de l’ombre » aux techniciens français d’origine. La décision fut prise d’intégrer l’équipe à la SNECMA et de racheter tous les brevets déposés par Oestrich, ce qui lui valut au passage de s’assurer d’un confortable « magot ».

La société Bertin et Cie

C’est de sa société fondée en 1955, Bertin et Cie, que verront le jour des progrès sur « les effets de sol » (1957, bien connus de nos jours en F1), le brevet sur le « coussin d’air » (1961) appliqué aux transports (terraplane, un aéroglisseur terrestre en 1962), puis l’aérotrain sur lequel il travaillera entre 1963 et 1974.

Mais Jean Bertin est aussi un inventeur prolifique dans le domaine de la mécanique et de l'aéronautique qui déposera, rappelons-le, la bagatelle de… 163 brevets, et pour faire bonne mesure, rappelons également qu’entre 1946 et 1975 ce furent 70 publications dans des revues spécialisées et 168 conférences

L’aérotrain est et restera l’œuvre de Jean Bertin

Son rail en « T » inversé large de 3,40 mètres et haut de 0,90 mètre reste comme une empreinte.
Deux voies d’essais avaient été construites.

- La première entre Gometz-le-Châtel (91) et Limours (91) :

Elle a vu circuler le premier modèle, l’ « Expérimental 01 », le 16 décembre 1965 alors que la ligne initialement prévue sur 6,7 km n’en faisait encore qu’un seul.


Le "01" sur la ligne de Gometz
Photo Société Bertin
Collection personnelle de l’auteur du site
http://aernav.free.fr/Index.html

Ce handicap n’empêcha pas le prototype long de 10,11 mètres, pesant 2,6 tonnes et propulsé par un moteur d’avion à hélice de 260 cv à 3 pales à pas réversible d’atteindre les 90 km/h.

Les 6,7 km de voies furent achevés en février 1966.
Le « 01 » atteignit alors les 200 km/h.

Afin de vérifier la tenue des coussins d’air à haute vitesse, le « 01 » fut équipé d’une fusée d’appoint portant sa puissance à 1 700 cv.

Le 23 décembre 1966, il atteint les 303 km/h.
Modifié afin d’être propulsé par un réacteur d’avion, le « 01 » se voit équipé d’un réacteur de « Fouga-Magister », appareil qui équipa longtemps la Patrouille de France.
Résultat : 345 km/h le 1er novembre 1967.
Cette ligne verra un nouveau record, battu par le prototype « 02 » cette fois, équipé d’un réacteur « Pratt et Whitney ».
300 km/h en mai 1968, puis 422 km/h, aidé là aussi d’une fusée d’appoint, le 22 janvier 1969.
Tout cela, rappelons-le, sur moins de 7km…

- La seconde entre Ruan et Saran, près d’Orléans (45)

La construction de cette voie fut décidée par l’État le 18 décembre 1967, accompagnée d’un cahier des charges pour l’expérimentation, peu avant que Jean Bertin soit nommé membre de l’Académie du Morvan.

Cette voie de 18 km/h diffère de la première en étant construite en viaduc.
Elle est équipée d’une plate-forme de retournement à chaque extrémité ainsi que d’une « gare » (une plate-forme et un hangar de remisage) à mi-chemin sur la commune de Chevilly.


L'Aérotrain I80 Haute Vitesse
Photo Société Bertin
Collection personnelle de l’auteur du site

http://aernav.free.fr/Index.html

Le « I80 » destiné à cette voie est présenté le 7 juillet 1969.

Le 13 septembre le « I80 » atteint les 250 km/h avec une hélice carénée (semblable à celle du terraplane…) développant quelques 2 200 cv.

Le « S44 », version à propulsion électrique conçue pour une vitesse de 200 km/h et destinée aux transports suburbains voit également le jour en 1969.

Nouvelle modification du « I80 » en octobre 1973 avec la mise en place d’un turboréacteur.

Le 5 mars 1974 les 430 km/h sont atteint.

L’Aérotrain c’était aussi

A cette époque, l’« I80 » lancé à 240 km/h n’avait besoin que de 900 mètres pour s’arrêter.

Aujourd’hui environ 8 000 mètres sont nécessaires à l’arrêt d’un TGV roulant à 270 km/h.

Le succès enfin…

Le 21 juin 1974, un contrat fut signé avec le gouvernement et le projet de nombreuses lignes arrêté.

- Paris-Orléans,
- Paris-Lyon,
- Orly-Etoile,
- Bruxelles-Genève par le Luxembourg et Bâle,
- Calais-Fourmies par Dunkerque et Maubeuge,
- Aix en Provence-Marseille,
- Orly-Roissy,
- La Défense-Cergy Pontoise.

… mais de courte durée !

1 mois à peine !

Le 17 juillet 1974, le gouvernement (Valéry Giscard d’Estaing / Jacques Chirac) fait volte-face et renonce définitivement au(x)
projet(s)…

Mais pourquoi ?

-1) Contrairement au train (et au TGV), l'aérotrain ne peut pas changer de voie, la sienne est spécifique, il n'y a pas de réseau.

-2) A une époque de premier choc pétrolier, l'aérotrain est extrêmement gourmand en carburant.

… Et peut-être quelques intérêts plus ou moins personnels ?

La SNCF sortira son TGV peu après.

On peut toutefois se demander s’il était nécessaire d’incendier le « S44 » de Gometz ou le « I80 » de Chevilly ?

Aujourd’hui le Japon utilise un train à sustentation magnétique à voie spécifique, tout comme le « Maglev » de Shanghai pour ne citer que ceux-là…

Jean Bertin avait sans doute (beaucoup) trop d’avance.

Que reste-t-il de ces 2 lignes ?

Celle de Gometz-le-Chatel :

Aujourd’hui, le rail subsiste dans la partie « sauvage » de l’ancienne ligne Paris-Chartre, recouvert par la nature qui a déjà repris ses droits.

    
Promeneurs et VTTistes se partagent
les bords du Rail

Une partie de cette voie expérimentale sert aujourd’hui au contournement (automobile) en souterrain de Gometz-la-Ville.

Ce tronçon est équipé d’un giratoire à chaque extrémité rappelant l’œuvre de l’ingénieur Bertin.

Le premier présentant le rail, l’autre une sculpture en élévation de l’« I80 ».


La sculpture de Georges Saulterre
(né en 1943 à Conegliano en Italie)
sur le "Giratoire de l'Ingénieur Bertin" à Gometz 


Celle d’Orléans :

Là encore, quelques photos, juste de vieux blocs de béton, des restes de viaduc, le tout en très mauvais état et probablement limite quant-à la sécurité.



Démolition pour faire place à l'autoroute
Photo provenan du site :
http://boiteaoutils.blogspot.fr/2008/04/larotrain-ou-le-futur-du-pass.html



Triste fin...
L'aérotrain I80 HV
La cabine passagers
Photo : Stéphane BASTIEN, 1987

Les passionnés auront sans doute suivi le calvaire des engins démontés, détruits sans la moindre émotion…

Souvenirs

Si vous avez eu la chance et l’honneur de faire partie des quelques privilégiés (probablement quelques milliers ?) qui ont pu faire un aller et retour sur cet engin prodigieux qu’était le « I80 », il y a des choses que vous avez probablement oubliées, comme la couleur de l’engin ou le rembourrage et les couleurs de ses banquettes.

En revanche 3 choses sont sans doute restées gravées dans vos mémoires :

- le compteur digital plutôt simpliste fixé en cabine passagers (ce jour-là 399 km/h, il n’a pas voulu marquer les 400…)
Ce compteur de fortune avait été rajouté spécialement car beaucoup de passagers, sans aller jusqu’à croire que nous étions toujours à l’arrêt, refusaient pour le moins d’accepter que nous –doit-on dire roulions, volions, planions, glissions ? - à cette vitesse…), seuls les passages en forêts ou les quelques arbres proches nous renvoyaient la notion de vitesse.

- le silence absolu, juste un léger ronronnement,

- la parfaite stabilité de l’appareil. 

Aucun des plus récents TGV n’a jamais pu restituer cela.

La fin

Jean Bertin s’est éteint d’une tumeur au cerveau (aussi appelée « cancer du cerveau ») le 21 décembre 1975 à Neuilly-sur-Seine (92), un peu plus d’un an après l’arrêt de « son » aérotrain.

Il est inhumé un petit village du Gers, à Monblanc, dans le cimetière de Quimbat, entre Montblanc et Pébées.

Sources documentaires