Fabricants de martinets


Un doux nom d’oiseau mais…
Que nenni !
Nous allons voir là, la dernière fabrique d’instruments redoutés par les enfants.

Qu’est-ce qu’un martinet ?

Dans son édition de 1934, le célèbre Dictionnaire Larousse, définissait ainsi le Martinet : « Une sorte de fouet composé de plusieurs sangles de corde ou de cuir, pour battre les vêtements, les meubles ou corriger les enfants ».

Aujourd’hui, Wikipédia défini le martinet comme « un petit fouet multiple, constitué d'un manche en bois d'environ 25 cm. Les lanières, au nombre d'une dizaine, sont généralement en cuir.

Pour rappel, la loi « anti-fessée »

L'usage du martinet pour fesser les enfants est tombé en désuétude en France. Il est désormais assimilé à de la maltraitance ».

En effets, les châtiments corporels en général mais aussi les humiliations, insultes, brimades, moqueries... sont interdits par la loi.

Cette loi relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires, dite « loi anti-fessée », a été définitivement adoptée et publiée au Journal officiel du 11 juillet 2019.
Bien que ce texte ne soit pas assorti de nouvelles sanctions pénales, il n’en demeure pas moins que la maltraitance des enfants est déjà punie de peines pouvant aller jusqu'à 20 ans de prison.

Ceci étant dit, passons à notre histoire du martinet.

De la verge au martinet

Les verges, instrument traditionnel de châtiment corporel, constituées d'une brassée de fines et souples baguettes de bouleau attachées en mince fagot étaient utilisées pour administrer des fessées.

Elles furent supplantées progressivement par le martinet après son invention dans les années 1660.

Origines

Les origines de cet instrument remonteraient probablement au XVIIème siècle.

Il aurait été inventé par un certain Jean de Martinet, lieutenant-colonel français et inspecteur général (date de naissance inconnue - mort en 1672 lors du siège de Duisbourg), et l'un des précurseur de la formation militaire moderne.

Lorsque Louis XIV créa le Régiment du Roi le 2 Janvier 1663, il choisit Monsieur de Martinet pour en être Lieutenant-Colonel. Il fit avec ce Régiment la campagne de 1664 en Allemagne sous les ordres de Monsieur de Pradel.

Ce militaire aurait eu la réputation de faire subir de longs et fatigants exercices aux troupes du roi Louis XIV tout en exigeant une stricte discipline.

Son instrument de prédilection aurait été un « Fouet à Sangles » en lieu et place d’une immobilisation.

Le martinet chez les Jésuites

Un siècle après son invention, en 1763, il semble qu’une habitude avait été prise dans les collèges jésuites : celle de fouetter régulièrement les « Régents », jeunes jésuites entre 18 et 25 ans.

Quelles pouvaient bien être les raisons de ces punitions ? Aucune, ou plutôt toutes : le plaisir, le caprice, la vengeance ou pourquoi pas le sadisme, tout cela avec la « bénédiction » de leur supérieur, le Père Préfet.

La punition pouvait couramment atteindre les 80 coups (certains disent 3 à 400, qu’en est-il réellement ?).

Voir un excellent article sur le sujet à cette adresse :
- https://www.lexpress.fr/culture/livre/a-l-ecole-de-la-violence_802940.html

Le martinet lors de la première guerre mondiale

Pas question ici de punition.
Le martinet était un objet particulièrement utile aux poilus et faisait même partie du paquetage.

Il servait à enlever, autant que faire se peut, la poussière et la boue qui séchaient sur les uniformes et à débarrasser les couvertures de la vermine qui prospérait dans les tranchées.

    
Les ustensiles

Le « Kit », appelé à l’époque « Ustensiles de nettoyage et d’entretien », était composé d’une patience et de sa brosse (pour nettoyer les boutons), d’une brosse d’arme, d’une brosse double pour les chaussures, d’une brosse à vêtements et du fameux martinet. Il était généralement distribué à raison de 2 Kits par escouade (15 hommes).

La ligne du Tacot de Corbigny à Saulieu

Pourquoi parler de cette ligne du Tacot ? Juste pour la rappeler et situer la halte de Fétigny.

Le 4 août 1901, une première section de cette ligne fut mise en service entre Corbigny – Ouroux via Lormes.

Le 1er juillet 1903, la totalité de la ligne entre Corbigny et Saulieu était achevée et un prolongement depuis Corbigny jusqu’à Chitry-les-Mines permettant de rejoindre le Canal du Nivernais réalisé.

Les gares et haltes suivantes étaient desservies :
Chitry-les-Mines, Corbigny, Cervon, Planvoy, Lormes, Sommée, Brassy-Gâcogne, Razou, Chamerelle, Ouroux, Coeuzon-Savelot, Montsauche, Les Settons, Le Cernay, Montsermage, Moux, Chassagne, Jarnoy, Alligny-en-Morvan, Champcommeau, FETIGNY, Saint-Léger-de-Fourches, Montivent, Le Fourneau et Saulieu.

    
Situation de la halte de Fétigny.

L’amélioration des routes, le développement des transports par cars et par camions ont eu raison de cette ligne qui ferma définitivement le 15 mars 1939.


Photo de la halte de Fétigny aujourd’hui.
(Image Google Earth)

Pour en savoir plus sur les tacots du Morvan, voir à cette adresse :
http://www.eulglod.fr/morvan/tacots_du_morvan_1195.htm

La fabrique de martinets d’Alligny-en-Morvan

C’est vers 1949 que Suzanne Marache, une morvandelle née en 1918 au hameau de « La Serrée » tout proche de Fétigny, comme beaucoup exilée un temps à Paris, revint au pays et lança sa fabrique de Martinets.


Suzanne Marache dans son atelier

C’est l'ancienne halte-gare du tacot dont nous venons de parler qui fut choisie et réhabilitée en fabrique de martinets. Vous savez maintenant où elle se trouve...

A l’origine, ce bâtiment n’était donc qu’une « halte » et non une « gare ».
Il ne comprenait qu’un accueil pour les voyageurs au rez-de-chaussée et un petit logement à l'étage et le hangar à marchandises n’était pas contigu au bâtiment.
Un nouveau bâtiment fut donc ajouté qui servit d’atelier.

Tout était artisanal.
Jusqu’en 1980, c’était découpes et clouage à la main et au marteau…
Il fallait découper les lanières manuellement puis clouer une par une les dix lanières sur le manche en bois.

Un clou dans une main, le marteau dans l'autre. Un clou pour chaque lanière et deux clous supplémentaires étaient nécessaires pour fixer l’entourage de finition du Martinet.

Les Martinets de chez Suzanne Marache étaient tous identiques, un manche jaune et des lanières de cuir foncé.
La couleur jaune des manches était, parait-il, obtenue par trempage mais je n’ai jamais su dans quoi…

Les manches étaient façonnés dans du hêtre, du cerisier, du frêne ou du charme (un joli nom pour ce type d’objet), coupés et préparés en forets voisines et vers « Planchez-en-Morvan » à une vingtaine de kilomètres.

André Bolander, le compagnon de Suzanne, débitait les billots en tronçons de 30cm de long sur 4 ou 5 de large avant de les passer au tour.

Deux tourneurs étaient occupés et l’un d’eux procédait également à la découpe des lanières.

Puis André mit tout d’abord au point une machine électrique pour découper simultanément 9 lanières dans des chutes de cuir provenant de fabricants de ceintures.

Ce sera ensuite un pistolet à air comprimé destiné à fixer les lanières de cuir sur le bois avec des agrafes.
Les manches quant à eux seront sous-traités à une entreprise de la Meuse.
Fini le tour, les découpes fastidieuses, le marteau et les clous…

Il existait aussi un modèle de luxe, sans doute pour donner plus de classe à l’utilisation.
Ce modèle était verni (ceux qui en tâtaient, un peu moins).
Les manches étaient déposés dans un grand cylindre métallique dans lequel étaient placés des galets de cire de Carnauba.
Cette cire est issue des feuilles du « Copernicia prunifera », un palmier du Nord-Est du Brésil.

Elle est utilisé aujourd’hui, dans les cosmétiques, les mascaras, mais aussi dans les cires pour automobiles et, plus surprenant, dans la confiserie pour faire briller les Smarties, Tic-Tac et autres Dragibus.
Etonnant non ?

Une annexe de la fabrique à Chaumien

Une petite « annexe » des martinets de Suzanne Marache existait jadis à Moux-en-Morvan, plus présisément dans le haut du Hameau de Chaumien, chez les « Fouret » (anciennement "Alard"), qui recevaient les matériaux et les assemblaient avant de les remettre terminés à Alligny.
Cette maison n’existe plus de nos jours.

Mais Chaumien n’était pas la seule « annexe »…

André apportait les manches, les lanières et les clous le lundi chez des particuliers, « dans des sacs de patates » dit-on, et récupérait les martinets assemblés le vendredi, « par paquets de douze ».

Les livraisons et les prix

André effectuait les livraisons. Les bazars, les drogueries, les forains, tous des locaux, mais aussi certains grossistes dans toute la France, du Nord à Paris et de Lyon à Bordeaux…

Ce sont quelques 250 000 martinets qui voyaient le jour chaque année.

Le martinet était utilisé dans quasiment toutes les familles, un moyen d'éducation habituel.

André conditionnait ses martinets par bottes de 144 soit 12 douzaines.
La douzaine de martinets classiques coûtait 19,25 francs (1985), soit environ 1,60 francs l’unité.
Rapporté à 2020, ce prix des 12 martinets serait de 5,30 € soit 0,44 € (2,88 francs) : Source calculateur INSEE.

Les prix aujourd’hui ? J’ai regardé pour vous sur Internet : 5,30 € pour un martinet ordinaire.
A l’époque, cette activité aidait pourtant à vivre de nombreuses personnes du Morvan…

Les forains, les chiens et les sex-shops

Les martinets trouvaient clientèle chez les forains, les parents d'enfants "récalcitrants" ou encore les propriétaires d'animaux.

Pour les sex-shop, Suzanne tressait elle-même les lanières noires et les fixait sur les manches au moyen de clous dorés.


Un des martinets, cadeau de Suzanne Marache,
a traversé les époques...
A noter que sur ce modèle, des bandes dorées étaient collées sur les lanières

La fin en 2000

Suzanne décèdera en janvier 2000 à l'âge de 82ans.
André la suivra en 2016, à l’âge de 99 ans.

L'entreprise Meunier, Érick et Catherine, installée au hameau des Valottes (Alligny-en-Morvan) et déjà spécialisée dans des articles en cuir et en bois pour animaux, niches ou mangeoires, reprendra un temps l’activité de Suzanne.

Paradoxalement, ce n’est qu’au 01-08-1997, que l’on trouve officiellement trace de la création de cette entreprise qui aura fermé ses portes le 31-01-2000.
Son activité officielle était « Fabrication d'objets divers en bois ».

Le martinet de Noël et le Père Fouettard

Saint Nicolas, Père Noël, Père Janvier, Père Fouettard… Heu …

La réforme protestante du XVIème siècle supprima la fête de St Nicolas dans des pays d'Europe.

Le Morvan des années d’avant-guerre était encore un peu « à la traîne ».
Traditions et coutumes étaient encore fortement ancrées et le Père Janvier prenait encore toute la place qu’un Père Noël avait gagné ailleurs.

Après que le Père Noël eut fait profité de sa générosité (encore très limitée, il pouvait s’agir d’une orange ou d’un sucre d’orge dans le meilleur des cas), arrivait le Père Janvier.

Contrairement au Père Noël, le bonhomme était décrit comme étrange, maigre, sévère et autoritaire, vêtu d’une sorte de robe de moine avec un capuchon et portant une barbe grise.
Il portait une hotte et il était censé malgré tout avoir les mêmes attributions que le Père Noël.

Problème toutefois, lui était accompagné du Père Fouettard, décrit comme petit et méchant, et qui, en guise de hotte, traînait un sac de toile rempli de verges…
Le visage maquillé de noir, une barbe noire mal taillée, des bottes noires, un grand manteau sombre, des cornes sous la capuche, sans oublier une grande queue, ajoutez à cela le fouet qu’il tient en main et fait claquer, rien n’incite à la joie.

Alors que Saint Nicolas, le Père Noël ou le Père Janvier distribuent (selon les temps et les lieux) de beaux cadeaux aux enfants qui ont été sages, le père Fouettard distribue des coups de fouets aux enfants qui l’ont été beaucoup moins.

Et dès que le martinet fut fabriqué en grand nombre, c’est cet objet qui remplaça les verges de son sac et qu’il laissait aux parents afin de corriger les enfants.

Les martinets de Fétigny dans la littérature

Une fois n’est pas coutume, la littérature policière s’est saisie de cette particularité morvandelle.
A la page 18 du roman « La Panthère des Palaces » (Michel Brice, Gérard de Villiers, série Brigade Mondaine, publié en 1986 chez Plon),


La couverture de "La panthère des Palaces"

Nous pouvons lire :
« Le martinet était un vrai martinet de chez Suzanne Marache, à Fétigny, dans le Cantal (1). Manche en bois verni et six lanières de cuir à la longueur réglementaire : trente-sept centimètres. Il avait coûté trois cents francs tout rond à Max Bruneau qui en possédait deux autres : il n'était pas rare qu'ils soient de service tous les trois à la fois dans le secret des innombrables chambres du palace.
(1) Seule fabricante de martinets au monde, Suzanne Marache en vend trois cent mille par an. Les touristes viennent de toute l'Europe et de l'Amérique, pour visiter son atelier. Le nom vient de son inventeur, un Français du XVII siècle appelé Martinet. »


L’auteur précise également en préambule que :
« Les dossiers Brigade mondaine de cette collection sont fondés sur des éléments absolument authentiques. Toutefois, pour les révéler au public, nous avons dû modifier les notions de temps et de lieu ainsi que les noms des personnages ».

Autrement dit, si l’auteur situe Fétigny dans le Cantal c’est uniquement par discrétion, mais il n’en atteste pas moins de l’importance de l’entreprise de Suzanne.

Sources documentaires

- Chronologie historique-militaire-Tome sixième : La Promotion des Lieutenants généraux des armées du Roi, du 25 Juillet 1762.
- Vidéo de l’INA sur Suzanne Marache et sa fabrique de martinets : https://player.ina.fr/player/embed/CAF95053277/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/wide/1
- Les français à Verdun : http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr/uniforme-equipement.htm
- Extraits du roman « La panthère des palaces » http://excerpts.numilog.com/books/9782259014618.pdf