Communautés taisibles

Les communautés taisibles
Seule la communauté des Panné-Garriaux a véritablement marqué le Morvan.
D’autres, situées plus largement en Bourgogne ou en Franche-Comté
ont néanmoins existé.

Définition succincte

Une « communauté taisible », aussi appelée « parsonnerie », « communauté familiale », ou encore « frérèche » (ou frarèche) lorsqu’elle ne regroupe que des frères et sœurs, est un mode d’exploitation agricole collective.

Cette organisation était jadis répandue dans le centre de la France.

Le qualificatif « taisible » (tacite), du latin « tacere », (ne pas dire, garder le silence) fait référence au fondement de ces associations, basé sur le respect de la parole donnée plutôt que sur l’écrit peu répandu dans le milieu rural.

Le cas des frérèches

Les frérèches sont des organisations de couples mariés apparentés (frères ou beaux-frères essentiellement) où l'un des frères ou beaux-frères est élu pour diriger la communauté.

Cette communauté ne dure généralement que le temps d'une génération, les enfants (neveux et cousins) étant trop nombreux pour cohabiter.

Le nombre de frérèches aurait considérablement diminué à partir de la fin du XVIème siècle autour de Paris, puis à la fin du XVIIème siècle en Auvergne et dans le Bourbonnais.

La majorité d’entre elles ont effectivement disparues avec l'arrivée du Code civil napoléonien.

Les Huis, les Chez, les Ker ou les Meix…

Ces termes sont généralement issus du nom des familles ayant participé au défrichement des massifs depuis le Moyen Âge et construit leurs habitations dans les clairières artificielles nouvellement constituées.
C’était souvent là aussi que se formaient les communautés.

Les Huis :
Ce mot, particulièrement répandu dans le Morvan, a une origine latine, ostium, la porte, et par extension, la maison.
Sans être des communautés taisibles, les « Huis » étaient aussi des sortes de regroupement dus à l’activité de leurs occupants.

Le premier terme, porte, désignait les menuiseries très grossières faisant fonction de porte.
L’Huis consiste en une série de planches simplement jointives, doublées par d'autres planches disposées de manière à se relier aux premières par des clous.

Le second sens, la maison, est apparu à partir des XIVème siècle et XVème siècle.

Suite à la pandémie de peste noire et à la Guerre de Cent ans, de nombreuses terres morvandelles ont en effet été ravagées et abandonnées et les populations décimées.
Pour reconstruire et repeupler le Morvan, de nouvelles habitations sont construites dans les clairières artificielles qui font suite au défrichement du massif depuis le Moyen Âge.

Ces nouveaux hameaux, isolés des villages auxquels ils sont rattachés, prennent dans le Morvan le nom particulier d'Huis. Cette appellation est suivi d'un nom, correspondant le plus souvent à celui de la personne ayant procédé au défrichage de la clairière.

En Morvan, il existe une centaine d’Huis dans une région bien délimitée, située du Nord au Sud, entre Avallon et Château-Chinon, et à l'Ouest, à la frontière entre le Morvan et le Bazois, et donc majoritairement dans le département de la Nièvre.
Toutefois, ces lieux de peu d’importance n’ont laissé que peu de traces dans l’histoire et il est rare de trouver d’intéressant documents s’y rapportant.

Les plus anciens Huis dateraient de 1316 (l'Huis-au-Pâge - Gâcogne), 1330 (l'Huis Bauché – Brassy), 1426 (l'Huis-Gourain - Montigny), 1571 (l'Huis-Belin - Brassy), 1611 (l’Huis-Doulains - Mhère), 1620 (l’Huis-Meulé - Dun-les-Places) ou encore 1671 (l'Huis-au-Roi - Saint-Hilaire).
L'établissement des premiers Huis en Morvan remonterait probablement à l’époque post-carolingienne, soit à la fin du Xème siècle.

Les chez :
Les « Chez » sont les équivalents des « Huis » morvandiaux.
Ce toponyme est lui devenu courant de la Savoie, du Poitou ainsi que de la Vendée.

A l’extérieur du Morvan, au moyen-âge, les grands domaines se divisent.
Les laboureurs « libres » s’établissent avec leurs familles dans les clairières artificielles qui font suite au défrichement des massifs (comme en Morvan).
Là encore, en dehors des villages, de petites et rares cabanes se transforment en nombreuses maisons.

Ces modestes exploitations s’appelèrent rapidement « Chez » suivi du nom de la famille ou d’une caractéristique du lieu, et finalement transmettent ce nom au hameau tout entier.

Les plus significatifs seraient :
« Chez Degradaz », la maison ayant été construite sur un replat avant le village ?
« Chez Pallud », nom dérivé de la proximité des marais (Pallu = petit marais) ?
« Chez Robé », Robé signifiant Robert en patois local.
« Chez les Rossets », de personnes rousses, rosset en patois local ou des broussailles sur sols pierreux.

Les Ker :
C’est la version bretonne des « huis » et des « chez ».
On les trouve parfois écrits « Quer » ou « Car ».
Cet élément toponymique remonte au vieux breton « caer » qui signifierait « endroit fortifié », « citadelle » ou encore « forteresse » (probablement du Gallois « caer »).

L’exemple le plus frappant est probablement la ville de « Locmariaquer ».
L’origine remontant au XIème siècle où les moines de Quimperlé vouèrent le lieu à Marie qui devint ainsi «Locmaria Kaër».
En effet, pour distinguer les différents et nombreux « Locmaria » de Bretagne, il était de coutume de rajouter à la fin le nom de la seigneurie… « Locmariaquer », le Lieu de Marie en la baronnie de Kaër.

Les Meix (ou Maix, Mais, Mex, Metz, Mietz, Meis…) :
On en trouve beaucoup moins mais il en subsistent encore quelque uns en Bourgogne tel « Le Meix » (Côte d’Or), dans le Nivernais, ou encore en plein cœur du Morvan, à « Gouloux » (Nièvre), siège de l’une des dernières saboteries de France, les établissements « Marchand ».
Eugène de Chambure mentionne dans son Glossaire que « Le Meix-Jeannin à Alligny-en-Morvan rappelle le souvenir de l'illustre ami de Henri IV, le président Jeannin, dont le père était né dans cet humble village »

Le mot remonterait au XIIème siècle sous la forme « Meis » désignant un terrain attenant à une maison », souvent désigné aussi comme une « l’habitation d’un cultivateur avec dépendances et attenante à un jardin ou un verger ».

Mais aussi « Lieu », « Chaise », Maison »…

Et tous ceux que l’on oublie, qui ont tous (ou presque) la même signification.

Le bordelage

Une borde désigne une petite exploitation agricole, petite ferme ou une petite métairie installée aux abords d'une seigneurie afin de fournir le maître en produits fermiers et agricoles.

Le bordelage est une redevance dite « en trois choses : Deniers, grains et plume, ou des trois les deux ».

C’est donc une prestation (et par là une redevance) devant avoir un lien avec les fruits ou des grains (en général) et ne pouvait donc être applicable qu’à des terres labourables (récolte du blé pour le pain et pour nourrir la volaille par ex.).

Les seigneurs se sont rapidement détourné de cette destination première et ont appliqué les redevances bordelières à toute les terres et aux maisons.

Les parsonniers

Le terme viendrait du vieux français « parçon », portion, part ou encore partie.

Les parsonniers sont cités par Voltaire (Dictionnaire philosophique « Économie domestique »), par Diderot (Grande Encyclopédie de Diderot et d'Alembert « Communautés moraves ») ou encore Rétif de la Bretonne (Les Posthumes)…

Certains utilisent ce terme par comparaison avec les employés des kolkhozes ou des kibboutz, d’autres pour désigner les hôtes des communautés religieuses de toutes sortes.

Les communauté vivant en autarcie, les parsonniers avaient acquis plus qu’une spécialité, une incontestable polyvalence. Hormis l’agriculture bien évidemment, ils avaient de solides connaissances en tonnellerie, menuiserie, saboterie, tissage, mais aussi mécanique, et construction…

Nota :
Les kolkhozes ont vu le jour en 1928 et ont perduré jusqu’à la chute de l’Union Soviétique en 1991. Ils occupaient alors près de la moitié de la population active.

Les kibboutzim (un kibboutz, des kibboutzim) ont été créés au début du XXème siècle (1909 pour le premier) par des juifs d'origines russe et polonaise. Cette forme d’exploitation a cessé en tant que telle dans les années 1990.

Le Maître ou la Maîtresse

A noter tout d’abord que le maître et la maîtresse ne sont pas mari et femme et la Maîtresse n’est pas non plus la sœur du Maître.

Le Maître :

Pour les gens de l’extérieur, c’est « Le chef de la communauté ».
Pour les membres de la communauté, c’est « Le Maitre ».

Le Maître est le patron de la communauté et le gestionnaire de ses biens.
Le Maitre est souvent le chef de famille et dans les petite communautés, il conserve généralement cette fonction jusqu’à sa mort.

Parfois il a été élu, choisi pour son âge, son expérience ou ses qualités personnelles.
Il peut être très jeune ou très… expérimenté.

L’expérience du Maitre est surtout professionnelle et beaucoup ne savent ni lire ni écrire. Il ne peut comprendre et signer les documents pour lesquels lui seul a le pouvoir (les baux, les actes de ventes, ou encore les contrats de mariage), qu’avec l’assistance d’un « instruit ».
Il est également le seul à figurer sur les « Rôles de Taille », cet impôt levé annuellement sur les personnes ou sur les biens où seul le « chef de ménage » est mentionné.
Malgré ces handicaps, le maître dirige la communauté et défend ses intérêts.
Il connaît la situation financière de la communauté, et, par conséquent, il connaît également le montant de sa fortune. Et il est le seul à la connaître… Normalement…

C’est le Maître qui se rend en ville pour les foires, les marchés et les affaires de la communauté et, si quelques difficultés surviennent, il prend alors l’avis de l’ensemble des parsonniers.

Tout cela relève de sa fonction et ne lui apporte aucun avantage de quelque nature que ce soit.

La Maîtresse :

Comme il est rappelé ci-dessus, la maîtresse de la communauté n’est jamais l’épouse ni la sœur du maître.
Cette particularité évite la centralisation et la confiscation de l’autorité par un seul et même couple.

La Maîtresse est choisie et élue par les femmes uniquement.
Elle est en charge de la distribution les tâches féminines quotidiennes, de l’éducation des enfants ainsi que des soins aux malades.
Tâche non négligeable non plus, elle doit veiller à la préparation des repas pour toute la communauté, une tâche qui inclut la préparation et la cuisson du pain mais aussi battre le beurre et faire le fromage.

La garde des bestiaux, la traite, les travaux de potagers mais aussi des champs reviennent aux autres femmes ou aux enfants.

Les enfant exercent quelques petites activités, gardent le bétail et la basse-cour et ne sont tenus au travail qu’après leur première communion soit approximativement vers 13 ans.

Mainmorte (ou Mortemain, ou mortaille)

Quels étaient les droits du Serf ?
Aucuns !

La mainmorte était précisément ce qui lui interdisait de transmettre ses biens après sa mort.

Le but ? Officiellement il s’agissait d’empêcher que les biens ne passent à des étrangers à la seigneurie.
Officieusement, il permettait au seigneur de récupérer à bon compte tous les droits, et donc tous les biens du défunt.

Le seul droit accordé au défunt était de faire un legs à l’église afin de s’assurer d’une sépulture chrétienne. La charité chrétienne s’obtenait contre monnaie !

Les règles de mainmorte commencèrent à s’assouplir au XIIème siècle mais c’est dans la nuit du 4 août 1789, lors de la révolution, que la Constituante décréta l'abolition des privilèges.

Conséquences de la Mainmorte

Le droit féodal, dont les variantes sont infinies et dépendent des régions où elles s’exercent, permet aux évêques et abbés (qui ne s’en privaient pas et se querellaient même pour de plus gros profits…), aux nobles mais aussi et plus généralement à toutes les personnes dites « libres » (et surtout suffisamment riches) et avec agrément royal, de posséder des fiefs.

De ce fait, le Morvan incita un grand nombre de seigneurs, ou réputés tels, à s'y installer… Si ce n’était déjà fait…
Au tout début du 16ème siècle, ceux que l’on appelle donc les seigneurs, introduisent et installent des « colons » pour défricher et exploiter les domaines qu’ils possèdent ou viennent d’acquérir.

Ces colons relevaient généralement du droit de mainmorte, et n’étant pas tous organisés en communauté, permettaient au seigneur de récupérer les biens de tout paysan décédé dont les héritiers ne vivaient pas avec lui depuis plus d'un an et un jour.

Guy Coquille, jurisconsulte et poète français (né à Decize le 11 novembre 1523 et décédé à Nevers le 11 mars 1603), a notamment laissé dans ses écrits (dont « l'Institution au droit des Français » et « Les Coutumes du pays et duché de Nivernais ») une phrase remarquable :
« Il n'y a point de terre sans seigneur dans le Morvan et chacun est seigneur dans tout le ressort, sur teste et col, vent et prairie, tout est à lui, forêt chenue, oiseaux dans l'air, beste au buisson, cloche qui roule, onde qui coule ».

Origines des communautés

La mainmorte étant quelque chose de redoutable (pour les Serfs), certains, et depuis fort longtemps, cherchèrent un moyen (légal) de s’y soustraire.

C’est ainsi que fut imaginé (par qui ?) cette remarquable astuce : La communauté taisible.
La manœuvre, consistait à former « une société de fait », laquelle société était, à la base, composée du père, de la mère et des enfants.

Tous vivaient ensemble, sous un « même toit », se nourrissaient au « même pot » et au « même pain », tout était mis en commun.
Lorsque l’un des parents mourait, la mainmorte ne pouvait s’exécuter.

La part du défunt venait augmenter celle des survivants en « indivise » et le seigneur ne pouvait exercer son droit de mainmorte, sauf à ce que la société soit dissoute.

Les seigneurs réussirent néanmoins à poser deux conditions : les héritiers devaient être Serfs comme le défunt et être restés en société avec lui jusqu’à son trépas. Si l’un d’entre eux décidait de partir, la société était dissoute.

Organisation - Mode de fonctionnement

L’organisation est assez complexe.
Les revenus de la communauté étaient répartis selon la règle des « têtes ».
Une « tête vive » est la part d’un parsonnier (toujours un homme, jamais une femme) vivant dans la communauté.

Lorsqu’un parsonnier meurt en laissant des enfants, il est considéré comme « endormi », une « tête dormeuse » et non comme mort. La « tête dormeuse » est le nom de la part donnée à ses enfants.

S’il meurt sans descendance, il ne transmet rien et la communauté compte simplement une tête de moins et conserve le tout par « droit de non décroissement ».

La « tête dormeuse » perdure tant que les enfants restent dans la communauté.
Cette part est égale à la part de ceux qui vivent et travaillent et ne meurt que lorsque les enfants quittent la communauté.
Si les départs ont lieu à des dates différentes, la tête est dite « morte » pour ceux qui partent, et « endormie » pour ceux qui restent.

Lorsque l’homme ou la femme sont devenus vieux et incapable de travailler, ils restent dans et à la charge de la communauté, sans toutefois recevoir de rétribution.
On dit alors qu’ils sont « reposant », la communauté assurant également tous les frais de maladie et d’obsèques comme elle le fait pour tous ses membres.

De fait, rien n’appartenait au Parsonnier, rien !
Dans son roman « Les étoiles de Compostelle » parut aux éditions Denoël (1987), Henri Vincenot (Le Pape des escargots) nous le rappelle remarquablement :
« Rien n’appartenait à personne, tout appartenait à tous. Si bien que si un parsonnier voulait se retirer après quinze ans de communauté, il le pouvait, mais les mains nues, seulement avec ses vêtements, qui pourtant étaient communautaires, car on n’osait pas le laisser partir nu. »

Habitation

L’habitation est généralement constituée d’une pièce principale, vaste salle commune, ainsi que de plusieurs chambres.

La pièce principale, aussi appelée « chauffoir », est destinée à la cuisine, aux repas communs, aux réceptions (au sens d’accueil et non de cérémonie), aux discutions commerciales, à l’organisation du travail et bien sûr aux veillées.

Les repas comprennent habituellement deux services, le premier pour les hommes, le second pour les femmes… Et les hommes et les femmes prenaient leurs repas à une table différente.

C’est aussi dans cette pièce principale que dorment les plus anciens et les plus jeunes comme, parfois, le Maître.

Les autres pièces, trois, quatre parfois (rarement) cinq, sont réservées aux couples qui y dispose d’un lit et d’une armoire personnelle.
Deux autres pièces, lorsque cela est possible, sont réservées aux enfants qui dorment ensemble, garçons dans une, filles dans l’autre.

Du moins est-ce là une organisation « type » minimale…
Les communautés comportant 50 ou 60 membres (ce qui n’était pas exceptionnel) se répartissaient les logements sur plusieurs bâtiments.

Particularités des communautés

Au fil du temps, d’importantes disparités apparaissent entre petites et grandes communautés.

En effet, si le fonctionnement courant, comme le travail ou la prise des repas en commun sont toujours de mise, l’organisation évolue.
Si on ne réside pas dans la même maison en raison de l’importance de la communauté, la « fonction » de Maître n’est plus non plus systématiquement l’apanage du chef de famille.
Elle passe désormais par une élection.
Cette élection peut même avoir une portée limitée dans le temps et le Maitre peux aussi avoir à rendre des comptes à la fin de « son mandat ».
Avec la taille de la communauté, la puissance du pouvoir patriarcal fait donc place à un système plus égalitaire, plus relationnel, prémices de ce que deviendront plus tard les communes.


En Morvan, les enfants revendiquent...

Une communauté religieuse ?

L'influence de la religion chrétienne était importante et tous les membres des communautés pratiquaient les valeurs prêchées par l'Évangile avec tout d’abord la charité.
En conséquence, il y avait toujours la place du pauvre à la table des membres.

On ne fréquentait pas les auberges, on allait à l’église et on avait le respect de l’Angélus trois fois par jour (6, 12, 18h solaires), du bénédicité (prière de remerciement récitée ou chantée avant les repas en remerciement de la nourriture quotidienne) et de la complie (la prière avant le couché).

Les communautés taisibles étaient souvent assimilées à la règle de Saint Augustin (Augustin d'Hippone ou Saint Augustin, né le 13 novembre 354 à Thagaste, actuel Souk Ahras en Algérie et mort le 28 août 430 à Hippone, actuelle Annaba en Algérie).


Saint Augustin par Botticelli


Cette règle consiste en un règlement succinct de la vie d'une communauté avec la définition de l'occupation des différents moments de la journée, les conseils pour la vie dans une communauté, ou encore l'adaptation à une communauté féminine.
Pas sûr que ce soit l’idée de départ.

Mariages

Ils sont toujours organisés par le maître.
Si les deux prétendants appartiennent à la même communauté (ils sont souvent cousins), ils restent dans la communauté (du moins le peuvent-ils).

Si l’homme est étranger à la communauté, la femme quitte la communauté pour suivre son mari. Elle est dotée (en argent) par la communauté mais ne peut plus rien attendre de l’héritage de ses parents.

Si l’épouse vient d’une autre communauté, c’est à elle d’apporter une dot (en argent). Cette somme lui sera rendue si elle devient veuve et qu’elle préfère rejoindre sa communauté d’origine (C’est d’ailleurs pour elle la seule possibilité de retourner dans sa communauté d’origine avec ses enfants).

Quelquefois, ce sont des échanges qui avaient lieux, un homme et une femme d’une communauté avec une femme et un homme d’une autre permettaient de conserver l’intégralité des avoirs…

A cette époque 1 écu valait 100 livres, 1 livre valait 20 sols, 1 sols valait 12 deniers, 1 denier valait 2 oboles, 1 obole valait 2 pictes.
1 vache valait 10 livres,
Une dote de 700 livres pour une fille valait donc 70 vaches.

Dissolutions

Avant l'ordonnance de Moulins de février 1566 (voir ci-dessous), la cérémonie du chanteau se substituait couramment aux interventions notariales.

Un gâteau (ou un simple pain) constitué d’autant de parts qu’il y avait de membres était partagé par le maître.
Chacun pouvait donc attester, sur l’honneur, de la décision qui allait être prise.

Occasionnellement, il pouvait y avoir des exclusions.
Ce fait relativement rare était néanmoins prévu. Les exclus devenaient des « Mis hors pain » par l’acte de « La mise hors pain et pot »

Antoine Loysel (jurisconsulte né le 16 février 1536 à Beauvais (Oise) et mort le 28 avril 1617 à Paris, célèbre pour avoir collecté les principes généraux de l'ancien droit coutumier français), dans ses « Institutes coutumières ou Manuel de plusieurs et diverses règles, sentences et proverbes, tant anciens que modernes du droit coutumier et plus ordinaire de la France (Volume 1) » nous rappelle :
« Le feu le sel et le pain partent l’homme mortemain.
Entre les serfs, quand le domicile est commun leurs biens ne sont point pour cela réputés communs ; mais ils sont réputés communs en biens lorsqu’il n’y a point eu de partage et que le feu, le sel et le pain sont communs entre eux ; et lorsque le feu, le sel et le pain sont séparés, ils cessent d’être communs.
Par le feu on entend l’habitation séparée, le ménage distinct : feu vient de focus, que les Romains emploient en ce sens.
Cette règle joint le sel au feu et au pain parce que le sel est une des choses les plus nécessaires à la vie.
Les anciens mangeaient leur pain avec du sel »

Les ordonnances

- L'ordonnance royale de février 1566, dite « Ordonnance de Moulins », rédigée par le chancelier Michel de L'Hospital et signée par le roi de Charles IX lors de son « grand tour de France de 1564-1566 », traite de la réforme de la justice.


Ordonnance de 1566


Dans son article 1359, l'ordonnance de Moulins (qui a inspiré l’actuel régime du code civil français) précise que : « L'acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. (...) »


Photo Art 1359


A voir dans Google Book « Droit européen et comparé des contrats » à cette adresse.
https://books.google.fr/books?id=_tm0DwAAQBAJ&lpg=PT122&ots=dwHGMfcj76&dq=article%201359%20ordonnance%20de%20moulin%201566&hl=fr&pg=PT128#v=onepage&q=1359&f=false

Ce texte anéantit littéralement toutes les communautés dites taisibles qui ne souhaitaient pas avoir recourt à un acte notarié pour tous biens atteignant une valeur de 100 livres.

Les plus importantes associations passèrent des contrats écrits, d'autres se risquèrent à tenter la clandestinité, à leur péril.

Toutefois, l’ordonnance de Moulin ne fut pas appliquée partout et en Bourgogne certaines communautés perduraient.
Le roi fit donc promulguer deux autres ordonnances destinées à rappeler et renforcer la première et, à la fin du XVIIème siècle, la plupart des communautés familiales agricoles avaient disparues.

Certaines résistèrent dans le Maine, le Berry, le Poitou ou encore le Limousin, de nombreux partages eurent lieu jusqu’à une totale extinction à la fin du XVIIIème siècle, confirmée par la révolution.

Les quelques-unes, très rares, résistant encore (les villages gaulois…) disparurent définitivement cette fois à la Restauration.

La toute dernière communautés taisible aurait été juridiquement dissoute en 1912.
De son côté, Henriette Dussourd (née à Toulon-sur-Arroux (Saône-et-Loire) en 1921 et décédée à Moulins (Allier) le 12 mars 1988, historienne française spécialiste de l'histoire rurale) laisse à penser qu’elles auraient seulement eu lieu en 1932-1933).

Quelques Communautés Taisibles

Les moines de Citeaux :
D’après d’anciens documents, en 1136 en Côte-d’Or, les moines de Citeaux introduisirent des colons laborieux. Ces gens défrichèrent les landes et bâtirent des chaumières auxquelles ils donnèrent leur nom dont certains sont restés.

Ces peuplements furent probablement la cause de la formation de communautés taisibles.

Plus tard, groupés autour d'une même église, ils constituèrent la plupart des paroisses qui ont été érigées en Morvan, entre la fin du XIIème siècle et la fin du XVème siècle (http://www.eulglod.fr/morvan/1ere_serie_de_documents_2472.htm)

Les Panné-Garriaux :
Entre les XVIème et XIXème siècle, dans la Nièvre, au Nord de Préporché, plus précisément au hameau des « Garriaux », existait une communauté taisible : la famille des Panné-Garriaux.


Ouvrage édité par l'Académie du Morvan

En 1539, Philibert Panné est élu chef de la communauté de Préporché. Le nom de Gareau quant à lui, n’apparaît qu’en 1659 et différencie les Panné-Garriaux de la communauté, de ceux vivant à l'extérieur.

Concernant les « Pané », JF Baudiau (1809-1880 - Le Morvand ou Essai géographique, topographique et historique sur cette contrée) précise qu’ils étaient probablement originaires des « Gauthés », un hameau proche des « Garriaux ».
« A trois kilomètres, au nord-ouest, près des Gauthés, à l'entrée d'un bois, on remarque les vestiges d'une autre maison-forte, avec fossés, connue sous le nom d'Arcy. Elle formait, avec ses dépendances, une terre en toute justice, que possédait une famille de même nom. Jean d'Arcy, chevalier, en était seigneur en 1300. Guillaume, son fils, chanoine de Nevers, reprit de fief vingt-sept ans après. Érard et Henri Alexandre firent de même en 1464. Elle fut acquise, dans la suite, par la maison de Frasnay, d'Anizy, et revendue par elle au seigneur de Vandenesse. Le bois d'Arcy, de vingt-six boisselées, était tenu en bourdelage , en 1580, par la famille Pané, qui payait au seigneur, le 26 décembre, quinze sous six deniers, un boisseau d'avoine et une géline (une poule) ».

JF Baudiau aborde également la fin de cette communauté en ces termes :
« Au hameau des Garriaux ou Garriots, il existait naguère une communauté nombreuse, qui vient de se dissoudre. C'était la dernière de toutes celles qu'on remarquait autrefois en Morvand. Cette division a laissé la plupart des parsonniers dans la détresse. Leur misère, triste et silencieuse, dit M. Dupin, contrastait avec la bruyante gaieté de Jault.
Lazare Magnien, dit Michot, l'un d'eux, comme un porte-drapeau de la vieille garde, a emporté et conserve, en manière de trophée, dans sa nouvelle demeure, à Préporché, le pot ou marmite en fonte qui servait pour toute la famille.
Les Pané-Garriaux n'ayant pas ensemencé leurs terres, en 1793, les commissaires de la Convention nationale arrêtèrent qu'il serait loisible aux petits particuliers de les cultiver aux frais des propriétaires et de s'en attribuer les récoltes, sans que ceux-ci pussent y rien prétendre ».


Le hameau existe encore de nos jours mais seuls les deux bâtiments de l'entrée semblent toujours en place.

         
Le site est devenu une propriété privée.

Les Jault :
Une autre communauté taisible existait dans la Nièvre, celle des Jault, proche de St Benin d'Azy, à l’Est de Nevers.
La longévité de cette communauté est couramment estimée à près de 4 siècles, entre 1480 et 1847.
Aucune date précise ne peut être avancée, tous les documents officiels y afférant ayant été brûlés lors de la dissolution de la communauté.
Bien qu’une organisation familiale semble avoir existé auparavant, le titre de communauté des Jault ne serait apparu qu’en 1580.
L’année 1156 est parfois avancée pour la fondation de cette communauté, sans aucune certitude.
En revanche, la date de cette dissolution est connue, elle a été prononcée par jugement du 3 juin 1847 après décision de la majorité des parsonniers.

André-Marie Dupin, Député de la Nièvre a visité la communautés des Jault le 22 Septembre 1840.
Il décrit cette visite dans une lettre adressée à M. Etienne, Pair de France et Membre de l'Académie Française : organisation de la communauté, maisons, chambres, mobiliers et bâtiment d’exploitation sont passés en revue.
Dans cette lettre, André Dupin relate également la conversation qu’il a eu avec le Maître de la communauté à la suite cette visite des bâtiments :
« La visite domiciliaire était à peine terminée que nous entendîmes la voix de la gardienne prononcer ces mots : Les voici.
C'était la famille, au nombre de trente-six, hommes, femmes et enfants, qui revenait du service divin, le maître de la communauté en tête.
Tous entrèrent pêle-mêle dans la grande salle. Le maître, qui se nommait Claude (Claude Lo Jault), reconnut tout d'abord Simon de la Coudraye, auquel il vend et achète des bestiaux depuis bien des années, et M. Lallier qui, avant d'être maire, avait été notaire, et même le notaire de la communauté. Le médecin est celui qu'ils connaissaient le moins, car ils ont rarement des malades, et ils appellent plutôt le vétérinaire pour leurs bestiaux que le médecin pour eux-mêmes.
On leur dit mon nom; c'est M. Dupin, député de notre arrondissement.
- Ah ! dit le maître, j'ons ben souvent entendu parler" de li, et de monsieur son père, mais je ne l’ons jamais vu.
- Eh bien, mes amis, leur dis-je, j'ai voulu venir vous visiter. Tout ce que j'ai entendu dire de votre communauté, de son régime, de votre manière d'être et de vous comporter, m'en a donné l'envie. Je vous félicite, maître Claude, d'être à la tête d’une si belle famille, et vous tous, mes enfants, de vivre ainsi tous ensemble, et en bon accord ; mais je veux connaître à fond votre manière de vous arranger, et je vais vous faire bien des, si vous le permettez. »
- Maître Claude dit qu’il y consentait mais qu'il fallait d'abord s'asseoir et boire un coup; il commanda en même temps aux femmes de préparer le nécessaire.
Aussitôt une table fut dressée, couverte de gros linge, mais fort blanc, autant de couverts que nous étions d'étrangers, plus celui du maître ; et au milieu un fromage à la crème, des verres et du vin »


En-tête de la lettre du Député Dupin
à M. Etienne

Pervy :
La communauté de Pervy était située en Saône-et-Loire, sur la commune de Cuzy proche de Luzy au Sud du Parc du Morvan.

Elle aurait vu le jour vers les années 1519 et aurait exploité le domaine du même nom, pendant 348 ans, jusqu’en 1867.
Au milieu du XIXème siècle, en 1856, le domaine s’étendait sur 115 hectares, aurait comporté quelques 23 individus composés de 4 « têtes », deux domestiques hommes et d’une servante.

Dans la commune du Longeron :
Le glossaire de A.J. Verrier et R. Onillon sur « Les parlés et patois de l’Anjou » (disponible sur Gallica), nous rappelle que, dans la commune du Longeron (Maine-et-Loire), « Les parsonniers font toute l'exploitation en commun, paient le fermage solidairement et possèdent indivisément le cheptel ».

La communauté des Darnault :
Installée dans l’Indre, à la Grange-Dieu, cette communauté a fait l’objet
d’une recherche dans les archives du Bas-Berry.

Les informations sont rassemblées dans un livre, « La vie quotidienne d’une communauté familiale agricole en Champagne berrichonne ».

Prêtre et ses parsonniers :
Située en Vendée, cette communauté serait d’origine templière. Son identification à la maison templière d’Angles, et de son rattachement à celle de Châteaubernard, relèverait de documents dont une analyse d'acte contenue dans un inventaire de titres des commanderies de Châteaubernard et d'Angles dressé au XVIIIe siècle.

La communauté d’Escotal :
Dans le Puy-de-Dôme, près de Thiers, la communauté des Ferrier, dite communauté d’Escotal, aurait perdurée jusqu’en 1904.
Deux autres existaient encore, parait-il, au début du XXème siècle sur Escoutoux et sur Celles sur Durolle. »

D’autres encore :
D’autres communautés comme les « Garniers », les « Valentins », les « Bechoux », les « Lous Boissières » ou les « Vé Chambarel » pour ne citer que celles-là, se situaient toutes en Auvergne, Puy-de-Dôme ou Haute-Loire.

Le cas de la Maison des charrues

Seule une carte postale du début du 20ème siècle en fait mention.

        
3 versions de la Maison des charrues retrouvées régulièrement sans autres informations

Cette maison de « Fétigny », sur la commune d’Alligny-en-Morvan dans la Nièvre, aurait été la plus ancienne du Morvan et aurait abrité « pendant des siècles » une communauté de 33 personnes.

Le problème est que de nombreuses maisons auraient étés « la » plus ancienne sans que l’on sache avec certitudes laquelle aurait été la vraie.

Par ailleurs, à Alligny, même les plus anciens, sans pour autant avoir connue cette maison, n’en ont entendu parler et bien sur personne n’a la moindre idée de l’endroit où elle pouvait se situer.

Quant à JF Baudiau, aucun des 3 tomes de son « Le Morvand ou Essai géographique, topographique et historique sur cette contrée », n’en fait la moindre allusion.

Que tous ceux qui ont des informations sur la maison des charrues aient l’amabilité de me faire part de leurs connaissances, je me ferai un honneur de les porter sur ce site.

Sources documentaires

- Application personnelle Google Map : https://www.google.com/maps/d/u/0/viewer?mid=12RDYa7h_LOv2WgthuS7nu1CGRK8&ll=47.98210363735564%2C2.3787669999999252&z=7 (Voir Sites divers : Communauté taisible des Panné-Garriaux)
- La Communauté Panné-Garreau, Notes pour servir à l'histoire de la Commune de Vandenesse (Nièvre) 1874 - Victor Gueneau (1835-1919) Disponible sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5695302b/f10.image.texteImage
- Excursion dans la Nièvre – Lettre de M. Dupin à M. Etienne, Disponible sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56901149/f2.item.r=Jault.texteImage
- JF Baudiau : « Le Morvand ou Essai géographique, topographique et historique sur cette contrée » (Deuxième édition-Tome 1).
- Jacqueline Bernard, André Paris et Christian Bouchoux : Une communauté familiale avant la révolution ; Les Panné-Garreau de Préporché, édité par l’Acacadémie du Morvan.
- Henriette Dussourd : « Les communautés familiales agricoles du Centre de la France » et « Au même Pot et au même Feu... » (Collections « Persée »)
- Voltaire (Dictionnaire philosophique « Économie domestique »)
- Diderot (Grande Encyclopédie de Diderot et d'Alembert « Communautés moraves »)
- Rétif de la Bretonne (Les Posthumes)
- Antoine Loysel : « Institutes coutumières ou Manuel de plusieurs et diverses règles, sentences et proverbes, tant anciens que modernes du droit coutumier et plus ordinaire de la France (Volume 1) » Google Book : https://books.google.fr/books?id=6X9EAAAAcAAJ&dq=Le+feu,+le+sel+et+le+pain+loysel&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
- Parsonneries et fréresches. Une société taisible aux Astiers en 1381 (Les Amis d’Allègre, Gilbert Duflos et René Bore - 2011-2014) : http://www.amis-allegre.org/fichier_associe/parsonniers_texte_seul.2014.pdf
- Une remarquable vidéo relatant la vie d’une communauté et ses rouages : https://www.youtube.com/watch?v=zFEYyfqjTlE

A voir également les sites :
- http://lemorvandiaupat.free.fr/communautes.html
https://montreuillon.eu/fr/anx/histoire-parsonniers.php